Prise en charge de la dépendance alcoolique
I. Dépistage du patient à risque
Le dépistage doit être réalisé le plus précocement possible lors de la prise en charge carcinologique. La consommation d’alcool se chiffre tout alcool confondu, chaque verre (de vin, de bière, de whisky, de champagne…) contenant approximativement la même quantité d’alcool.
La déclaration d’une consommation supérieure à 3 verres par jour chez l’homme et à 2 verres chez la femme (ou d’une baisse récente sous le seuil) doit conduire à orienter le patient à la consultation addictologique de Gustave Roussy (poste 4630).
Un questionnaire d’auto évaluation des consommations d’alcool (et de tabac) est utilisé actuellement en consultation ORL afin de faciliter ce repérage. La sous déclaration étant fréquente, le prélèvement sérique du biomarqueur CDT (Carbohydrate Deficient Transferrin) permet de dépister une consommation quotidienne supérieure à 6 verres.
Les patients à risque seront adressés en consultation addictologique afin d’évaluer leur dépendance, le retentissement de leur intoxication et de définir une stratégie de sevrage.
En l’absence de prise en charge, le syndrome de sevrage peut survenir jusqu’à 15 jours après l’arrêt de l’alcool. Le risque principal devant des signes méconnus de manque est la survenue d’un delirium tremens : la meilleure thérapeutique est la surveillance clinique via un score référencé et la dispensation préventive du traitement recommandé.
Le traitement recommandé associe :
- Abstinence de toute consommation d'alcool
- Réhydratation et vitaminothérapie (B1, B6, PP) de préférence entérale,
- Addictolyse,
- Apport de benzodiazépine sous surveillance du score de Cushman.
Index de gravité du sevrage : score de CUSHMAN
Un score <7 : Etat clinique contrôlé.
Un score entre 7 et 14 : sevrage modéré
Un score > 14 : sevrage sévère.II. Conduite à tenir chez le patient alcoolo dépendant
Hydratation
Per os si conscience normale (eau, jus de fruit,…), 1 à 2L à la demande (à contrôler), sinon IV par glucosé 5% 2 L /24 heures (additionné de 4g Nacl + 2g KCl par litre).
Aucune boisson alcoolisée ne doit être proposée
(pérennise alcoolo dépendance et augmente risque de toxicité médicamenteuse).
Faire une alcoolémie (ou une éthylométrie, à Gustave Roussy éthylomètre disponible au service Rhône ) : si elle est élevée, la surveiller toutes les 2H jusqu’au seuil de 0,25 g/l. Ne pas administrer de benzodiazépines avant d’obtenir une alcoolémie < à 0,25g/l.
Vitaminothérapie
en doublant l’apport de B1 et B6 en cas de perfusion de glucosé (risque accru d’encéphalopathie de Gayet Wernicke) :
- Per os : B1 B6 250 mg 3 cp /j + Nicobion 500 mg 2 cp /j pendant 21 jours
- IV : Bévitine 1000 mg /j en 3-4 fois + Bécilan 500 mg 2 amp/j + Nicobion 100 mg 5 amp/j. pendant 4 à 5 jours.
Addictolyse dès J 1:
Acamprosate (Aotal®) cp 333mg
- Si poids < 60 kg : 2cp le matin, 1 cp le midi et 1cp le soir.
- Si poids > 60 kg : 2 cp le matin, 2 cp le midi et 2cp le soir.
Apport de benzodiazépine (BZD)
sous surveillance du score de Cushman toutes les 6 heures.
- Utiliser de préférence une BZD à T1/2 longue: diazépam (Valium®) 10 mg et la voie orale.
- En cas de tumeur ORL obstructive ou de TP < 50%, utiliser une BZD à T1/2 intermédiaire : oxasépam (Seresta®). 10 mg de diazépam équivaut à 25mg d’oxazépam
- Les BZD sont distribuées à heures fixes en traitement d’entretien selon le schéma suivant :
- J 1 : 4 doses pdt 24h soit 1 cp toutes les 6 heures
- J 2 : 3 doses pdt 24h soit 1 cp toutes les 8 heures
- J 3 : 2 doses pdt 24h soit 1 cp toutes les 12 heures
- J 4 : 1 cp puis arrêt.
La totalité des doses doit être donnée même si le début du traitement est décalé du fait d’une alcoolisation aiguë initiale.
III. REGLES POUR LA DISPENSATION DU TRAITEMENT
- SI score < ou = 7 - traitement d’entretien
- SI score compris entre 8 et 14 à l’arrivée du patient ou pendant l’évolution - traitement de charge
Traitement de charge
Par Valium® 10 mg (ou par Seresta® 25 mg) per os toutes les heures jusqu’à l’obtention d’une sédation. Après examen des CI et de la balance bénéfice/risque, les B bloquant peuvent être utilisés pour réduire un syndrome adrénergique (sueurs, tremblements, tachycardie, hypertension artérielle) : propanolol 160 mg
Surveillance horaire
Du score de Cushman : arrêt BZD si le patient sédaté
Réévaluation
à H 6 et adaptation de la prise en charge en fonction de l’évolution :
- Si score < ou = 7 : reprise du traitement d’entretien à son début.
- Si score > 7 malgré le traitement de charge, risque élevé de delirium tremens : Transfert en réanimation Pour traitement approprié associant diazépam IV + halopéridol 5 à 10 mg PO ou IM (en cas d’hallucination) ou sufentanil + midazolam ou diazépam + clonidine 5 µg/kg/h IVSE.
- Si score > 14 : transfert en réanimation pour traitement sous surveillance continue et traitement (QS), voire sédation par pentobarbital ou propofol.
NB : En cas d’urgence respiratoire, le flumazénil (Anexate®) n’est pas contre-indiqué mais doit être utilisé de façon titrée.
IV. Suivi à distance
Le sevrage préopératoire a pour objectif d’améliorer le déroulement et les suites de l’intervention chirurgicale. L’observance postopératoire de l’abstinence nécessite un suivi médico psychosocial prolongé qui sera défini par le médecin addictologue. L’Aotal® sera poursuivi une année.
Références :Tonnesen H, Rosenberg J, Nielsen HJ, et al. Effects of preoperative abstinence on poor postoperative outcome in alcohol misusers : randomised controlled trial. BMJ 1999; 318: 1311-6. - Spies CD, Rommelspacher H. Alcohol withdrawal in the surgical patient: prevention and treatment. Anest Analg 1999; 88: 946-54. - Objectifs, indications et modalités de sevrage du patient alcoolo dépendant, textes de recommandations SFA 1999 : www.anaes.fr
Gold AJ Rimal A, Nolan A et al. A strategy of escalating doses of benzodiazepines and Phenobarbital administration reduces the need for mechanical ventilation in delirium tremens. Crit Care Med 2007 March; 35(3):724-730
O. Bouab, Addictologue, B Raynard, Gustave Roussy. 2012. Mise à jour avril 2014