Prescription médicamenteuse
I. Iatrogénie médicamenteuse et sujet âgé
- La iatrogénie médicamenteuse désigne l'ensemble des effets indésirables provoqués par la prise d’un ou plusieurs médicaments [1].
- La pathologie iatrogène d’origine médicamenteuse est retrouvée chez 10% des patients de plus de 65 ans et 20% des patients de plus de 80 ans.
- Les effets indésirables médicamenteux sont 2 fois plus fréquents en moyenne après 65 ans et 10 à 20 % de ces effets indésirables conduisent à une hospitalisation.
- 30 à 60 % des effets indésirables des médicaments sont prévisibles et évitables.
- Une iatrogénie survient chez 10 % des personnes âgées en cours d’hospitalisation [2].
- Elle est responsable de 5% des décès.
- 5 à 25 % des admissions à l’hôpital sont la conséquence d’un événement iatrogène ; celui-ci est dû à une erreur thérapeutique (mauvaise indication, non-respect des contre-indications, posologie excessive ou traitement trop prolongé), à une mauvaise observance du traitement ou à une automédication inappropriée chez des patients polymédiqués, âgés et « fragiles »[3].
- La iatrogénie peut être liée au médecin prescripteur, à la mauvaise observance par le patient ou à une erreur dans le circuit de distribution du médicament.
II. Iatrogénie liée au prescripteur
La iatrogénie liée au prescripteur est de 3 types :
1/ Les prescriptions inadaptées (misuse) :
- = Prescription d'une molécule dont l'efficacité n'est pas démontrée avec un rapport bénéfice-risque discutable.
- Exemples :
- Inhibiteurs de Pompe à Protons (IPP) au « long cours », ou pleine dose pour ulcère peptique > 8 semaines
- Antiagrégation plaquettaire en prévention primaire chez le sujet âgé (sans antécédent d’accident vasculaire cérébral, de syndrome coronarien ou d’artériopathie des membres inférieurs)
- DAFLON®,
- GINKO BILOBA, …
2/ Les sur-prescriptions (overuse) :
- = Administration de traitements non justifiés, sans indication ou avec un service médical rendu insuffisant.
- Exemples :
- IEC : Inhibiteur de l’Enzyme de Conversion
- ARAII : Antagonistes des récepteurs de l'angiotensine II
- BZD : Benzodiazépine (Eviter surtout celles à demi-vie longue ≥ 20h)
- AINS : Anti Inflammatoire Non Stéroïdiens
3/ Les sous-prescriptions (underuse) :
- = En rapport avec l'absence d'une prescription nécessaire devant une maladie dont le diagnostic n'a pas été fait ou pris en compte.
- Exemples:
- Bêtabloquant en cas de cardiopathie ischémique
- IEC et bêtabloquant dans l'insuffisance cardiaque
- Anticoagulation curative en cas de fibrillation auriculaire
- Biphosphonate en association avec du calcium et de la vitamine D dans l'ostéoporose fracturaire
- Antihypertenseur dans l'hypertension artérielle systolique du sujet âgé
- Antiagrégant plaquettaire en prévention secondaire des pathologies cardiovasculaires
III. Facteurs de risque de iatrogénie
1/ Facteurs de risques « non évitables » :
- Sont liés à des modifications physiologiques liées à l’âge :
- Diminution de la masse maigre au profit de la masse grasse : Risque d'accumulation et de rémanence de molécules lipophiles (surdosage = ES augmentés)
- Diminution du débit de filtration glomérulaire (DFG) : à calculer pour adapter les posologies des molécules à élimination rénale.
- Peuvent coexister avec des pathologies chroniques (dénutrition avec hypo-albuminémie, insuffisance rénale chronique)
- Peuvent être aggravées par des épisodes intercurrents (déshydratation, décompensation cardiaque, infection).
2/ Facteurs de risques « évitables »
La polymédication
- Polymédication : >4 molécules différentes par jour
- Penser :
- aux interactions / Interférences médicamenteuses ?
- à la déprescription possible ? (Médicament encore nécessaire ?)
La mauvaise observance
- La mauvaise observance est de l'ordre de 40 %
- Elle est à rechercher devant :
- des ordonnances complexes ou multiples
- des troubles cognitifs
- des déficits sensoriels
- en cas d'isolement social.
L’automédication
- L'automédication est souvent dissimulée et potentiellement grave (ex : prise d'AINS).
L’absence de suivi thérapeutique régulier
- Empêchant :
- De faire des ajustements posologiques en cas de pathologies intercurrentes (fièvre, déshydratation ou décompensation d'une pathologie chronique).
- De rechercher systématiquement des effets indésirables potentiels (hypotension orthostatique, troubles hydro-électrolytiques sous diurétique).
IV. Quelques outils pour identifier les prescriptions médicamenteuses inappropriées (PMI) chez les patients âgés
1/ Les critères de Beers publiés en 1991 et actualisés en 2012 [[4]].
Ils pointent les risques des PMI aux personnes âgées, en distinguant une liste de médicaments toujours dangereux et une seconde liste de médicaments à éviter dans des contextes de pathologies particulières.
2/ Les critères français de Laroche [[5]].
Il s’agit d’une liste de médicaments inappropriés adaptée à la pratique française et concerne les personnes âgées de 75 ans et plus. Elle se compose de 34 critères : 29 médicaments ou classes médicamenteuses qui sont à éviter, indépendamment du contexte clinique, et 5 situations cliniques incluant les médicaments à éviter.
3/ L’étude START-STOPP [[6]]
STOPP&START est un outil de détection de la PMI chez la personne âgée. Il considère à la fois les médicaments inappropriés, les interactions médicamenteuses et les co-morbidités (65 critères STOPP), mais aussi l’omission de prescriptions considérées comme recommandée dans cette indication (22 critères START).
V. Exemples de Médicaments Potentiellement Inappropriés (MPI) chez le sujet âgé et alternatives de prescriptions
1/ Les anticholinergiques : les repérer pour mieux les éviter
Les effets secondaires de médicaments anticholinergiques (cf tableau ) chez les sujets âgés peuvent engendrer :
- une perte d’autonomie
- une diminution de la qualité de vie ;
- une augmentation de la morbi-mortalité
Tableau des effets secondaires des anticholinergiques :
Effets secondaires centraux |
Effets secondaires périphériques |
|
|
2/ Exemples de MPI chez le sujet âgé
3/ Alternatives de prescriptions selon la situation clinique (quelques exemples)
INSOMNIE PRIMAIRE :
DOULEURS :
POLLAKIURIE, IMPERIOSITE URINAIRE, INCONTINENCE URINAIRE :
DIABETE DE TYPE 2 :
HTA :
VI. Prescription médicamenteuse et sujet âgé
L’augmentation du nombre de comorbidités implique le plus souvent une majoration du nombre de traitements.
A retenir : 10 règles de prescription chez la personne âgée
- 1. Traiter une maladie et non un symptôme (nécessité d'un diagnostic précis).
- 2. Évaluer le rapport bénéfice-risque de tout médicament.
- 3. Hiérarchiser les pathologies, puis les traitements, pour limiter le nombre de molécules.
- 4. Éviter les médicaments de confort, source de mauvaise observance.
- 5. Adapter les modalités d'administration aux capacités de la personne âgée, que ce soit le rythme d'administration ou la galénique.
- 6. Prescrire des molécules à demi-vie courte.
- 7. Adapter la posologie des molécules à élimination rénale au DFG évalué par la formule MDRD (ou CKD EPI).
- 8. Assurer une surveillance thérapeutique, clinique et biologique.
- 9. Penser aux interactions médicamenteuses dont la fréquence augmente avec le nombre de molécules prescrites.
- 10. Savoir arrêter un médicament ou réduire sa posologie en fonction de l'évolution de la pathologie ou des conditions d'hygiène de vie.
Grands principes de prescription médicamenteuse chez le sujet âgé
2 temps importants sont à accorder à la prescription médicamenteuse chez le sujet âgé :
1/ AVANT LA PRESCRIPTION
- 1) Le diagnostic : Ne pas prescrire en l’absence de diagnostic précis.
- 2) La fonction rénale : La clairance de la créatinine doit apparaître dans le dossier médical et est évaluée soit par la formule de Cockcroft soit MDRD.
- 3) Le volume de distribution : Toute prescription doit tenir compte du poids, de la masse maigre pour les médicaments hydrosolubles, ou de la masse grasse pour médicaments liposolubles (liaison à l’albumine).
- 4) Rationalisation thérapeutique, nombre de médicaments : Tout patient ayant plus de 5 médicaments dans son ordonnance d’entrée doit faire l’objet d’une analyse argumentée.
- 5) La balance bénéfice/risque : A évaluer pour chaque traitement envisagé : elle dépend du SMR du médicament, de la pathologie en cours, des autres pathologies et de la survie estimée des patients.
- 6) Hiérarchisation des thérapeutiques : Un traitement nécessaire il y a 10 ans, ne l’est plus obligatoirement actuellement, en raison d’une nouvelle pathologie modifiant la survie.
- 7) Vigilance sur les médicaments à marge thérapeutique étroite : Evaluer le risque de surdosage et d’interaction médicamenteuse.
!!! Noter dans le dossier médical les raisons de l’ajout, la suspension ou l’arrêt d’un médicament.
2/ APRES LA PRESCRIPTION (pendant les traitements).
- 1) Respect de la titration : Suivre la loi « START Low and GO Slow » ; débuter avec des petites posologies et les augmenter lentement.
- 2) Le reflexe iatrogénique : A avoir devant tout événement clinique nouveau à l’admission, en cours d’hospitalisation, ou du suivi en particulier en cas de modification thérapeutique récente (molécule et/ou posologie). (Cf Annexe : les principaux effets indésirables iatrogènes rencontrés chez le sujet âgé).
- 3) Rationalisation de la prescription (nombre de médicaments) : Tout patient ayant plus de 5 médicaments dans son ordonnance doit avoir fait l’objet d’une analyse argumentée notée dans le dossier médical.
- 4) Surveillance des traitements en cours (poursuivis ou introduits) : Se fait sur les bases d’objectifs thérapeutiques clairement établis.
- 5) A la sortie : Définir les critères et le rythme de surveillance des thérapeutiques.
Les modifications thérapeutiques doivent être notées et argumentées (sur le compte rendu d’hospitalisation, lettre de sortie, ordonnance de sortie ou compte rendu de consultation).
VII. Annexe : liste des effets indésirables iatrogènes les plus fréquemment rencontrés chez le sujet âgé
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Céline LAZAROVICI-NAGERA - Maxime FRELAUT - GUSTAVE ROUSSY - Mise à jour en janvier 2025[1] https://www.ameli.fr/paris/assure/sante/medicaments/medicaments-et-situation-de-vie/iatrogenie-medicamenteuse
[2] Prescription médicamenteuse chez la personne âgée. Liste des médicaments proposés par la Commission Gériatrie de la région Centre – Val de Loire, 2016
[3] Adapter la prescription et l’administration des médicaments à la personne âgée ; Livret Geriamed, 2016
[4]By the 2023 American Geriatrics Society Beers Criteria® Update Expert Panel. American Geriatrics Society 2023 updated AGS Beers Criteria® for potentially inappropriate medication use in older adults. J Am Geriatr Soc. 2023 Jul;71(7):2052-2081. doi: 10.1111/jgs.18372. Epub 2023 May 4
[5]Laroche ML, Charmes JP, Merle L. Potentially inappropriate médications in the elderly : a French consensus panel list. European Journal of Clinical Pharmacology 2007;63:725-31.
[6] Gallagher P, Ryan C, Byrne S, Kennedy J, O’Mahony D. STOPP (screening Tool of older Person’s Prescriptions) and START (ScreeningTool to Alert doctors to Right Treatment). Consensus validation. Int JClin Pharmacol Ther 2008 ; 46 : 72-83.