Extravasation d’agents anticancereux
I. Diagnostic
Compliquant 0,1 à 5% des chimiothérapies [1], l’extravasation est une urgence thérapeutique, due à un accident au niveau du dispositif d’injection (désunion, déplacement secondaire…). Les réactions locales vont de la simple inflammation à la nécrose dermo-hypodermique ou au placard scléreux pouvant atteindre tendons et os. Les signes d’alerte cliniques sont :
- Brûlures, picotements, douleur, rougeur, fuite de produit ou tout autre symptôme au point d’injection dont se plaint le patient
- Gonflement induration ou œdème au point d’injection
- Associés à une absence de retour sanguin après aspiration par la seringue.
II. Facteurs de gravité [2]:
- Liés au site d’injection : dos de la main (risque de nécrose par finesse de la peau) ; pli du coude (gêne fonctionnelle), ancienneté de la perfusion (>24 h), injection en amont d’un site de ponction, pansements masquant le site d’injection et retardant le diagnostic, dispositif vasculaire (type chambre implantable) profondément implanté.
- Liés au médicament (tableau, liste non exhaustive): anthracyclines, vinca-alcaloïdes, podophyllotoxines, mitomycine C notamment, mais également produits hyper osmolaires (nutrition parentérale, chlorure de potassium, produits de contraste hyper osmolaires).
Risques liés à l’extravasation des anticancéreux
* Avis divergents concernant l’importance du risque
Les anticancéreux non cités dans le tableau et les produits en essai clinique (dans ce cas, contacter l’investigateur) sont considérés à risque sévère (= vésicants) jusqu’à preuve du contraire).
III. Conduite à tenir
Urgence thérapeutique absolue ! (< 6 heures)
Pour le patient
- Arrêter la perfusion, essayer de ré aspirer puis ôter le dispositif en place
- Délimiter la zone au feutre
- Identifier les produits qui étaient dans la perfusion
- Quantifier le volume d’extravasation
- Garder le patient à jeun et noter l’heure de la dernière prise alimentaire
- Prévenir l’interne de chirurgie de garde (pour le personnel de Gustave Roussy, joindre le DECT 24109)
Pour la traçabilité et l’évaluation
- Consigner l’accident dans le dossier soins du patient : heure de l’accident, produit, concentration, volume extravasé, degré d’irritation et état du site.
- Tracer la survenue de l’évènement dans le compte rendu de séjour du patient
- Faire une déclaration dans Blue Medi (pour le personnel de Gustave Roussy)
- Organiser un suivi de toutes les extravasations 6 semaines après.
IV. Conduite à tenir en urgence par l'interne de chirurgie générale
- Se rendre le plus rapidement au chevet du patient
- S’assurer que le patient est à jeun et que la perfusion est arrêtée ou ôtée
- Relever l’heure de l’extravasation
- Recenser les critères de gravité :
- Classe de l’agent (I = vésicant, II = irritant, III = non irritant). Liste retrouvée dans le manuel de l’interne. Si la molécule n’est pas dans le manuel ou s'il s’agit d’une molécule d’essai thérapeutique la considérer comme une classe I
- Quantité
- Localisation dangereuse : extrémités, cou, plis de flexion - Appeler le plasticien de garde pour lui communiquer ces informations et prendre la décision de conduite à tenir (pour le personnel de Gustave Roussy, liste disponible auprès de la cadre de garde la nuit)
V. Conduite à tenir par le sénior prenant en charge l'extravasation
Prise de la décision thérapeutique, après discussion avec le plasticien en charge du dossier.
En bref :
VI. Cas particulier
Anthracycline
Prise en charge au bloc opératoire, sous anesthésie générale (si patient à jeun) ou locale (si patient non à jeun), dans les 6 heures.
Si impossibilité de réaliser le geste dans les 6 heurs, discuter du protocole SAVENE.
- Lorsqu’une indication chirurgicale est retenue, l'aspiration-lavage doit être réalisée en urgence et en moins de 6 heures par une chirurgien plasticien.
- Procédure de l'aspiration-lavage :
- A effectuer sous anesthésie générale (ou locale si patient non à jeun)
- Délimiter la zone de diffusion du produit
- Si un PAC est en place il n’y a pas d’indication à le retirer sauf si c’est l’état du PAC et son positionnement qui sont en cause (cas extrêmement rare).
- Réaliser des points d’introduction de canule au bistouri au pourtour de la zone d'extravasation
- Infiltrer l’ensemble de la zone avec du sérum physiologique (température ambiante) abondamment (500 cc à 1000 cc)
- Aspirer cette zone et quantifier le produit récupéré qui doit au moins être égal au produit infiltré. L'aspiration se fait dans des plans de profondeur différente, sans passer les aponévroses musculaires et par chaque orifice d’introduction.
- Refaire plusieurs lavages d’autant plus nombreux que le produit est vésicant et que la quantité et l’étendue sont importantes.
- Ne pas fermer les points d’introduction de canule pour laisser suinter.
- Faire un pansement protecteur aux américains sans compression - Refaire le pansement à 24 h et décider de la reprise de chimiothérapie sur PAC. En général sans délai sauf si état local douteux. Recherche des signes de complications :
- Infection, cellulite
- Hématome
- Syndrome des loges - Remettre pour suivi le patient en consultation du plasticien ayant suivi le dossier
VII. Suivi du patient
- Toujours l’informer de ce qui s’est passé.
- Noter la survenue de l’évènement dans le dossier du patient et l’information réalisée.
- Exercer une surveillance clinique au bout de 24h et 48h puis chaque semaine pendant au moins 6 semaines. Un suivi spécifique par une équipe chirurgicale avec compétence de reconstruction et greffe est souhaitable.
VIII. Devenir de la chambre implantable
Avant toute réutilisation du PAC, une opacification doit être réalisée afin de vérifier son intégrité.
Rybak MJ, Lomaestro BM, Rotschafer JC, et al. Vancomycin therapeutic guidelines: a summary of consensus
1- Dossier du CNHIM (Centre National Hospitalier d’Information sur le Médicament). Médicaments utilisés en cancérologie (4e édition). 2001, XXII, 1-2
2- Von Heimburg D, Pallua N. Early and late treatment of iatrogenic injection damage. Chirurg 1998; 69: 1378-82
3- Blot F, Gledhill J. Traitement des toxicités spécifiques des chimiothérapies (surdosages, extravasations, mucites). In Réanimation en oncohématologie, Blot F & Conti G eds. Paris : Elsevier ; 2004. pp 525-38.
4- Mouridsen H, et al. Treatment of anthracycline extravasation with Savene (dexrazoxane) : results from two prospective clinical multicentre studies. Ann Oncol 2006 ; Dec 21.
5- F.Kolb, J.Domont, F.Blot. E.Desruennes, Gustave Roussy, Mai 2012 _______________________________________
Frédéric GOMAS (Unité d’accès vasculaire de l’adulte et de l'enfant) et Nicolas LEYMARIE (Service de chirurgie plastique) - GUSTAVE ROUSSY
Mise à jour en juillet 2024