Infections sur accès vasculaires centraux
I. Définitions (SFAR-SRLF 2002 / CTINILS 2007)
Bactériémie/fongémie liée aux voies veineuses centrales (VVC=CVC Cathéter Veineux Central) :
SOIT hémoculture positive ET
- culture au site d’insertion positive au même germe
- ou culture VVC >1000 ufc/ml au même germe
SOIT hémocultures différentielles (périphérique et centrale)
- prélevées en même temps (toujours prélever la périphérie avant de manipuler la VVC)
- positives au même germe
- avec un différentiel de temps de pousse ≥ 2h en faveur de l’hémoculture centrale
ATTENTION critère non fiable avec S aureus
II. Critères cliniques
- Signes locaux :
- Désunion cutanée
- Pus au point d'émergence
- Tunnellite
- Fièvre +/- frissons apparaissant dans les heures suivant une nouvelle utilisation de la VVC chez un patient préalablement asymptomatique et disparaissant après arrêt de la perfusion sur VVC.
- Signes généraux de sepsis sans porte d'entrée évidente. Le diagnostic sera fait par les hémocultures comparatives.
III. Diagnostic
Hors suspicion d'infection liée au cathéter :
Il n’y a pas lieu d’effectuer des prélèvements systématiques (point d’insertion cutané, hémoculture…) en dehors de toute suspicion d’infection liée au cathéter (ILC).
En cas de suspicion d’ILC :
- En présence de signes de gravité (signes locaux francs [tunnelite, cellulite] avec ou sans écoulement purulent, ou sepsis sévère inexpliqué par ailleurs) il faut retirer immédiatement le cathéter, le mettre en culture, et instaurer une antibiothérapie par voie générale.
Seule l’extrémité distale du cathéter est alors mise en culture, ainsi que, pour un site implanté, la chambre elle-même (envoyée en bactériologie dans un pot stérile pour culture de la surface externe et de l’intérieur de la chambre). - En l’absence de signes de gravité : il n’y a pas lieu d’effectuer un retrait immédiat de cathéter en cas de fièvre bien tolérée, et/ou de simple érythème au point d’entrée du cathéter (c.-à-d. en l’absence de signes infectieux graves, locaux ou sepsis sévère). Ces signes cliniques ont une spécificité médiocre pour le diagnostic d’ILC. Des méthodes diagnostiques « cathéter en place » (prélèvement cutané, hémocultures couplées) doivent être utilisées aussi souvent que possible.
- Pour les VVC de courte durée (< 20 jours, non tunnellisées), un prélèvement pour culture du point d’insertion cutané est recommandé en cas de suspicion d’ILC: sa négativité permet alors, en pratique, d’éliminer l’ILC. En revanche, sa positivité n’a pas de valeur prédictive d’ILC. Il n’y a pas lieu d’effectuer ce type de prélèvement en cas de VVC en place depuis plus de 20 jours, de chambre implantée ou de cathéter tunnellisé.
- Pour les VVC de longue durée, des hémocultures différentielles sur cathéter et en périphérie doivent être réalisées : si l’hémoculture prélevée sur cathéter pousse au moins 2h avant l’hémoculture périphérique, le diagnostic de bactériémie liée au cathéter est très probable (spécificité et sensibilité > 90%).
La positivité d’une seule des 2 hémocultures (en général celle prélevée sur le cathéter) ne permet pas toujours la distinction entre “souillure” et ILC. Cependant, en cas d’ILC, il existe souvent plusieurs hémocultures sur cathéter positives (contre une seule en cas de “souillure”).
Enfin, l’existence d’une bactériémie à staphylocoque à coagulase négative, S. aureus ou Candida sp. a, en l’absence d’autre foyer infectieux au même germe, une valeur d’orientation forte vers la responsabilité du cathéter.
Attention : en cas de bactériémie à S. aureus, la mesure du délai différentiel de positivité n'a pas de valeur ! Même un délai de positivité faible (<2h) entre hémocultures sur cathéter et périphérique ne permet pas d'éliminer une ILC à S. aureus, qui reste même le diagnostic le plus probable (données 2014)
Autre particularité de S. aureus : si la culture d'un cathéter retiré revient positive à S. aureus, même en l'absence de bactériémie préalable, il est nécessaire d'instaurer une antibiothérapie anti-staphylococcique (risque de bactériémie ultérieure ++)
IV. Traitement
1. Le retrait immédiat du cathéter (ou site implanté) EST OBLIGATOIRE en cas de :
- Ecoulement purulent ou signes locaux d’inflammation profonde (« tunnellite » ou cellulite : il ne faut alors pas prélever d’hc sur ce CVC, mais faire des hc périphériques et retirer le CVC pour le mettre en culture)
- Signes infectieux (sepsis, choc septique), sans autre foyer infectieux (suspecté ou prouvé).
- Infection Liée au Cathéter (ILC) confirmée (ou fortement suspectée) à S. aureus ou Candida spp (ou Mycobactéries non tuberculeuses).
Le cathéter retiré doit systématiquement être mis en culture au laboratoire de bactériologie.
Dans ces 3 cas : une antibiothérapie probabiliste urgente, éventuellement orientée par les examens directs (prélèvement du point d’insertion du cathéter) est indiquée. Le diagnostic définitif d’ILC sera obtenu par la culture du cathéter et les hémocultures (hc).
Exceptionnellement, un traitement conservateur peut être discuté dans certaines situations (soins palliatifs).
2.Une antibiothérapie empirique n'est nécessaire :
Avant les résultats microbiologiques (hc, prélèvements cutanés et/ou culture du CVC), QU’EN CAS de signes locaux, sepsis, ou choc septique, ou chez le malade aplasique.
Dans ces cas (sauf orientation particulière fournie par un examen direct), elle comportera une béta-lactamine active sur les bacilles à Gram négatif (BGN) ET un glycopeptide ou de la daptomycine.
En cas d’allergie VRAIE (de type immédiat, choc anaphylactique ou œdème de Quincke) aux béta-lactamines :
- Fluoroquinolone (lévofloxacine 500mg x 2/j) + Vancomycine ou Daptomycine
- Ou (car cela dépend également des antériorités microbiologiques)
- Aztréonam (Azactam® 2 gx3/j) + vancomycine ou daptomycine
3. Rares indications à la bi-antibiothérapie :
- Traitement probabiliste du choc septique.
- Infection (locale ou systémique) à BHRE qui nécessite un avis spécialisé
- Infection pluri-microbienne (non couverte par une monothérapie).
4. Quand rechercher un foyer infectieux à distance ?
En cas de persistance de signes infectieux et/ou d’hémocultures positives malgré une antibiothérapie adaptée ET le retrait du cathéter il faut rechercher :
- Une thrombophlébite septique (qui ne peut être évoquée qu’en cas de thrombose confirmée ET d’hc positives persistantes). Il ne faut pas prescrire d’anticoagulation efficace en cas de thrombophlébite septique.
- Et/ou un foyer à distance, complications hématogènes : pulmonaire, ostéo-articulaire, endocardite…
En cas d’ILC bactériémique à S. aureus tout particulièrement, une échographie cardiaque (ETT dans un premier temps entre J5 et J7, puis ETO si nécessaire) est recommandée pour rechercher une endocardite, dont les signes cliniques sont rares. Cette échographie cardiaque est IMPERATIVE quand les hémocultures restent positives après ablation du cathéter, a fortiori au-delà de J2-J3.
Une ETO doit être demandée dans le cadre d’une ILC à S aureus si l’ETT réalisée entre J5 et J7 n’est pas de bonne qualité (patient peu échogène par exemple) ou si la fièvre persiste au-delà de 3 jours ou si les hc sont positives au-delà de J3 ou s’il existe un dispositif intracardiaque (pace maker, prothèse valvulaire…) ou si le patient est hémodialysé.
Une candidémie sur cathéter doit classiquement faire réaliser un fond d’œil.
5. En l’absence de signe nécessitant un retrait immédiat du CVC, le traitement repose sur l’association verrou antibiotique et antibiothérapie systémique :
Voir chapitre spécifique verrou antibiotique
- Antibiothérapie adaptée à l’antibiogramme par voie parentérale pendant au moins 3 jours, puis relais oral possible pour une durée totale de :
- 7 jours si staphylocoque à coagulase négative
- 7 jours pour les BGN
- 14 jours après la dernière hémoculture positive pour le S aureus (jamais de verrou en cas de S aureus : retrait de la VVC en urgence) et le Candida
6. Le retrait secondaire du cathéter (ou site implanté) EST OBLIGATOIRE en cas d’échec du traitement conservateur :
- Persistance de signes infectieux liés au cathéter au-delà de 72 heures malgré une antibiothérapie adaptée.
- Persistance d’hémocultures positives au-delà de J4 malgré antibiothérapie adaptée.
Et plus précisément (Cf Recommandations Verrous dédiées) : un seul critère, parmi les suivants, suffit à définir l’échec du verrou :
- À J4 du verrou : fièvre en lien avec l’infection du CVC et/ou persistance d’Hc positive(s) (quel qu’en soit le site) au microorganisme en cause dans l’infection.
- Hémoculture(s) positive(s) (quel que soit le site de prélèvement) au même microorganisme en cause dans l’infection 24 h ou plus après la fin du traitement par verrou
- Apparition au cours ou décours du traitement par verrous de localisations septiques secondaires (endocardite, emboles septiques. . .).
7. Durée de traitement APRES RETRAIT du cathéter ?
- 0 à 3 jours pour une ILC à staphylocoque à coagulase négative (SCN). Le traitement systémique n’est pas indispensable si les hc prélevées en périphérie sont négatives, sauf en cas de matériel étranger intra-cardiaque ou intra-vasculaire. En présence de bactériémie soutenue, de matériel étranger (valve cardiaque, prothèse vasculaire, prothèse articulaire récente) il faut être plus agressif sur le traitement des infections à SCN ou corynébactéries et discuter le dossier avec l’infectiologue référent.
- 7 jours pour une ILC à entérobactérie ou Pseudomonas sp ou streptocoque ou entérocoque
- 14 jours à partir de la première hc négative pour une ILC à S. aureus ou levure (en l’absence de foyer infectieux à distance et de matériel étranger); Il faut donc systématiquement prélever des hc de contrôle après retrait du CVC et demander un avis spécialisé (infectiologue référent) et le tracer dans le dossier (l’indication d’une ETT ou ETO sera alors discutée).
En cas d’ILC à S aureus :
- En l’absence d’hc périphérique positive : 7 jours d’antibiothérapie
- Si SAMS : cloxacilline/oxacilline (150 à 200 mg/kg/j en 6 injections/j) ou céfazoline (100 mg/kg/j en 3 ou 4 injections ou IVSE après bolus) puis relais secondairement par lévofloxacine per os (500 mg x 2/j),
- Si SARM : daptomycine 10mg/kg/j en surveillant les CPK ou vancomycine
- En discontinu sur VVP : 30-60 mg/kg/j à diviser en 2-3 perfusions d’une heure (objectif taux résiduels 20-25mg/L)
- En IVSE sur VVC : dose de charge 15 mg/kg sur 1 h (attention vitesse maximale de perfusion : 1g par 1h) puis 30 mg/kg/24h (objectif vancocinémie 20-30 mg/L)
- Si Hc périphérique positive : au minimum 14 jours d’antibiothérapie
- Le linézolide n’est PAS adapté pour le traitement d’une infection sur cathéter à S. aureus bactériémique
- L’élément le plus prédictif de complication est la persistance d’hémocultures positives après l’ablation du cathéter (au-delà de J2), il faut donc prélever des hc de contrôle : compte tenu de l’immunodépression des patients d’oncohématologie nous proposons un traitement de 6 semaines avec avis systématique de l’infectiologue, même en l’absence d’endocardite ou de localisation à distance mise en évidence.
- En cas d’endocardite ou de contexte compliqué (les hc à S. aureus continuent à pousser sous traitement adapté) la durée de traitement est donc d’au moins 6 semaines.
En cas d’ILC à S. lugdunensis : avis infectiologue référent.
Quand un CVC est retiré pour des raisons non infectieuses (dysfonction, fin de traitement en l’absence de tout signe clinique local, général ou de bactériémie) et qu’il pousse en culture, il ne faut PAS prescrire systématiquement d’antibiotique en dehors d’UNE EXCEPTION : si le cathéter retiré est positif en culture à S. aureus : 7 jours d’antibiothérapie anti-staphylococcique sont requis. Attention néanmoins aux colonisations de cathéter à germes virulents (ex. entérobactéries) chez les patients immunodéprimés : avis infectiologue préférable.
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Références :
XII Conférence de Consensus de la SRLF. Réanimation 2003; 12 : 258-265; Siegman-Igra Y et al. J Clin Microbiol 1997;35: 928-936; Cook D et al. Crit Care Med 1997;25: 1417-1424; Raad II et al. Clin Infect Dis 1995; 20: 593-597; Blot F et al. Lancet 1999;354: 1071-1077. Mermel, L.A. et al Clinical practice guideline for the diagnosis and management of intravasculaire catheter-related infection : 2009 Uptdate by the IDSA 2009 Clin Infect Dis 49, 1
Antibiotic lock therapy for the conservative treatment of long-term intravenous catheter-related infections in adults and children: When and how to proceed? Guidelines for clinical practice 2020. Infectious Diseases Now 51 (2021) 236–246 Recommandations du groupe « Sous les Verrous » de la SPILF coordonné par C. Strady.
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Frédéric GOMAS (Unité d’accès vasculaire de l’adulte et de l’enfant) - Annabelle STOCLIN (Réanimation) - GUSTAVE ROUSSY
Mise à jour en juin 2024